top of page
Rechercher

Scène de crime chez Madame C

Dernière mise à jour : 8 juin 2020


Madame C. 66 ans.

1/

Lorsque j'ai eu le 1er entretien, la chargée de secteur m'a demandé si je souhaitais faire de "l'accompagnement social" - Qu'est ce que vous entendez par là? - Des personnes en grande précarité financière, sous tutelle ou curatel, des personnes avec un suivi psychiatrique, à l'hôpital de jour, ou pas, des personnes au parcours de vie particulier." - Oui, ça m'intéresse. J'aurai moi même un suivi particulier? - Oui, on prendra le temps de poser le cadre et il y a toujours quelqu'un au bureau 7h30-19h si besoin. Pour appeler ou passer.

Madame C, je vais vous raconter par petites touches parce que je n'imaginais pas qu'une telle situation soit possible. Je ne sais d'ailleurs pas si je vais réussir à "bien" vous raconter. Autant, pour les autres personnes, ça vient tout seul, autant pour Madame C, tout est tellement énorme. J'ai tout pris dans la figure et dans les narines d'un coup le 21 janvier. Un électrochoc. Je vais chez elle 3 fois 2 heures par semaine. Depuis, je commence à comprendre, par bribes. L'histoire de cette femme me fait l'effet d'un crime contre l'humanité. Son logement est une scène de crime. Madame C a été hospitalisée le 18 février, en urgence. Je continue mes interventions, à l'hôpital, mais aussi chez elle; Avec un masque et un vaporisateur de fleurs de bach et huiles essentielles "conflits". Madame a 66 ans.


Madame C, 66 ans. 2/

Lundi 21 janvier, 1er jour d'ADVF. Je suis en binôme avec V., la collègue dont je vais prendre la suite. Elle quitte la région. Sur le palier de l'immeuble, elle me dit: "Ce qui est compliqué chez Madame C, c'est l'odeur. Elle n'aime pas que l'on soit chez elle et trouve toujours une raison pour m'envoyer faire une course.Tu as des gants?" "oui" Puis elle ouvre la porte du logement. Nous pénétrons dans un petit couloir. Odeur indescriptible, ça colle par terre. Haut le coeur direct. Je vais vomir. Non, faut pas je peux pas. Je mets mon écharpe à pompons sur le nez. 2 portes fermées à droite. La cuisine à gauche, c'est ouvert, je vois. Haut le coeur. Respire par la bouche, RESPIRE PAR LA BOUCHE! Je suis V. vers le salon. Me est assise dans un fauteuil adapté, "fauteuil confort électrique". Elle a une tunique longue déchirée, les jambes nues. Me doit faire du 58-60. Présentations. C'est Juliette qui va me remplacer chez vous. Je pense: V, je t'en supplies, ouvre la fenêtre en me présentant s'il te plaît je vais vomir, JE VAIS VOMIR. Me explique à V que son portable ne charge plus et qu'il faudrait qu'elle aille demander à la poste pourquoi ça marche plus. Les mots sortent très vite de la bouche de Me. L'effet d'une bouillie verbale dont je peine à comprendre chaque ingrédient, mais le sens, si. V dit "d'accord, j'y vais". Elle me regarde. On a 2 heures d'intervention. La table est couverte de papiers, paquets de gâteaux, gâteaux écrasés, bouteille de soda 1er prix. Les 3 chaises en paille sont couvertes de "choses" collées; Le sol aussi. Des traces jaunes du fauteuil jusque sous la table ronde. La télécommande de son fauteuil est "là dedans". Une serviette de toilette est entortillée dans une roue. Je me dis que c'est mieux si je reste avec Me et commence à faire du... "ménage"? GANTS! Au niveau médical, Me est atteinte de la maladie de Parkinson.

Me n'a pas le syndrome de Diogène. V part. Me me dit que je lui "plaît", qu'elle est "contente". "Ah, tant mieux Me C! Nous allons faire connaissance. Je vais commencer par votre cuisine si vous voulez bien?" Partir de cette pièce, ouvrir une fenêtre, respirer par la bouche tout en essayant de continuer à nouer contact. - D'accord, y'a à faire dans la cuisine, et dans la lingerie!" La fenêtre de la cuisine est à côté de "la lingerie". Oh putain!!!! Je commence par la vaisselle. Jeter.... Merde, la poubelle est pleine!...

J'entends la porte d'entrée. V., déjà? Cool! Une femme dans l'encadrement de la porte. Une canette de 8/6 à la main, clope dans l'autre. Age?

Bonjours échangés, serrage de main-poignet.

- Je suis Juliette, la remplaçante de V. - Je suis la voisine, je viens prendre un café.


Madame C, 66 ans.

3/ Depuis le 21 janvier, tous les 2 jours durant 2 heures, tout était à refaire. Jeter les détritus et restes de repas, nettoyer les sols et meubles collants, les urines, jeter les excréments qu'elle mettait dans un pochon en plastique coincé derrière elle sur un côté de son "fauteuil confort électrique", lorsqu'elle n'avait pu se rendre aux toilettes, le sang un peu partout, dû au retour de règles provoqué par le traitement contre la maladie de Parkinson, les tas de vêtements souillés et déchirés car trop petits tellement elle a grossi, les serviettes et torchons éparpillés un peu partout, les draps... 2 ou 3 à chaque intervention. Faire tourner la machine, étendre celle de l'avant veille, jeter les canettes de 8/6 de la voisine, laver les mugs de café et vider les cendriers. Madame ne boit pas d'alcool ni de café; Que du soda 1er prix. Madame ne fume pas non plus. Mais Madame n'a que sa voisine alcoolique et schizophrène qui vient lui rendre visite, alors, elle achète au moins le café. Madame a 3 enfants. Elle connaît leurs numéros de téléphone par cœur. Un seul répond encore lorsque Madame me demande mon portable pro pour l'appeler. Jamais entendu de parler d'un père ou d'un homme. Il semblerai que cela fasse 5 ans que cette situation gangrène, petit à petit...

"Par bribes" j'ai dit au début. Par bribes de misère et d'abandon.

Madame C a travaillé jusqu'à la maladie. Elle était femme de ménage. L'odeur indescriptible c'est un mélange de "tout ça". C'est aussi la crasse et la transpiration, la sienne. Il n'y a plus de SSIAD depuis plusieurs mois pour Madame. Je ne sais encore pourquoi. J'ai juste trouvé un cahier de liaison des soins infirmiers lorsque j'ai commencé à ouvrir des tiroirs, après son départ aux urgences du CHU, l'entreprise m'a demandé de continuer les interventions à son domicile, en plus des visites à l'hôpital ; pour "faire un grand ménage", pour son retour... éventuel... Madame n'a probablement pas eu de douche ni de toilette professionnelle depuis 6-7 mois. Je ne savais pas. La chargée de secteur ne savait pas non plus. Madame n'avait pas de "protections" comme on dit pour ne pas dire "couches".

Madame C est pauvre et mal entourée.

Madame C a 37€ par semaine de l'UDAF.

37€ pour faire les courses chez Aldi.

Pas de sous pour les protections. Pas de sous pour les vêtements.

Pas de sous pour le téléphone.

 
 
 

Commenti


© 2023 by Name of Site. Proudly created with Wix.com

bottom of page