Aujourd'hui, j'ai fait "une visite de convivialité" comme on dit dans le jargon. Me D. 89 ans. Nous nous voyions pour la 1ère fois. Je demande des infos sur cette dame en amont à la chargée de secteur:
Vit en Ehpad, pas d'enfant, pas de famille, parle très peu. Marche bien. D'ordinaire c'est une promenade dans le quartier. Ok, let's go!
Je trouve Mme dans sa chambre, en train d'écrire. Je zieute par dessus son épaule et vois des phrases en français et en allemand. Elle prend son manteau et nous partons en balade. Il faisait beau cet après-midi. - Vous parlez l'allemand? - Oui, j'étais professeur d'allemand. - Ah? En collège? Lycée? - En lycée. - Qu'est ce qui vous a amené à enseigner? L'envie de transmettre cette langue? - Oh non, pas du tout! Mes parents étaient instituteurs; Ils m'ont forcée à devenir prof. Moi je ne voulais pas mais je n'ai pas eu le choix. Ça a été un cauchemar toute ma carrière. Les élèves m'ont chahutée. Certains me détestaient. L'hiver, ils arrivaient en classe avec des boules de glace qu'ils me lançaient."
Et ça a été comme ça, tout à l'avenant sur d'autres sujets: L'écriture: J'aimais bien écrire, mais mes parents trouvaient que ça n'avait pas d'intérêt. J'aimais bien danser mais mes parents trouvaient que j'étais lourde et sans grâce....
Elle parle peu? Punaise, la boîte de Pandore s'est ouverte! Malgré la dureté de ce qu'elle racontait, j'ai eu la sensation que ce fût malgré tout une heure plutôt paisible, comme si c'était d'une autre dont elle parlait. J'ai pensé: Une mise à distance qui l'a "sauvée" de peut être "pire"? Ça m'a touneboulée. COMMENT peut on vivre ça? Être en face à face pédagogique pendant toute sa vie en détestant ça?! Qu'est ce que c'est que ces parents qui bousillent tout désir, envie, tentative, de leur fille?!
Et pourtant, elle est là, debout, elle marche, écrit, dit qu'elle n'aime pas les activités de l'ehpad, ni participe pas, mais qu'elle a « choisi cet établissement car il est assez bien situé et que la chambre est correcte ». En plus, elle peut manger dans sa chambre...
Wouah, c'est fou non la capacité de résilience de l'être humain? Comment la psyché "s'organise" pour maintenir une verticalité, une pulsion de vie.
Je vais demander à être positionnée sur d'autres visites de convivialité auprès de Me D.
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