Chronique d’une AVS Auxiliaire de Vie Sociale
Monsieur B est décédé il y a un mois et demi.
Il habitait depuis 10 ans dans l'un des services du CHU, un SSR, suite à un très grave accident du travail.
J'allais auprès de lui tous les 15 jours, pour une "visite de convivialité" durant 2 heures, depuis 2 ans.
Pour des sorties et goûter au parc, lorsque l'équipe l'avait installé dans son fauteuil-lit électrique,
Pour des achats de produits d'hygiène ou de vêtements que le personnel notait sur le cahier de liaison,
Pour l'achat de crèmes desserts, compotes et petits chocolats qui le changeaient de l'ordinaire repas à la seringue de l'hôpital,
Pour un café crème, les jours de mauvais temps, pris au distributeur du "salon" de l'hosto, avec de l'épaississant pour éviter les fausses routes.
Pour recoudre ses vieux nounours, leur ajouter des rubans pour cacher la misère, en écoutant des CD,
Pour partager le DVD du concert de Johnny à la tour Eifel, ou encore "un indien dans la ville",
Aller faire faire des devis pour une nouvelle TV lorsque la sienne a rendu l'âme; au plus vite car on sait que les accords des tuteurs et tutrices sont parfois très longs, et que pour A qui passe sa vie dans son lit, la télé, c'est important.
Pour lui lire le livre de l'année de sa naissance : 1958
Pour faire de la peinture ou des dessins avec des pinceaux ou feutres adaptés, quand il arrivait encore à faire la pince pouce-index.
Je notais tout dans le cahier de liaison, relisant à chaque fois à Mr, à A, ce que j'écrivais.
"- Ca te va A?
- Ouais"
C'est tout ce qu'il arrivait à dire A: "ouais" "nan" et les couleurs "eu" "ouge" "aune" "ert"
Et grincer des dents très fort quand quelque chose n'allait pas.
Il était très moqueur, et le truc qui le faisait se poiler, c'était de me voir galérer à mettre en route son lecteur DVD.
En général, je finissais par aller chercher de l'aide auprès d'un soignant. On l'entendait se marrer depuis le couloir.
A l'approche de Noël, nous avions fait un atelier peinture et bricolage; Deux peintures agrémentées de guirlandes et de perles.
Après accord de A et de ma RS, puis du tuteur pour les frais d'envoi, je les avaient postées à ses deux filles et petites filles.
C'est le tuteur de Monsieur qui a prévenu la responsable de secteur de son décès.
Message laissé sur le répondeur pro :
"Peux tu me rappeller Juliette, c'est au sujet de Mr B.
...
- Oh, non, mais de quoi est il mort? Il était bien lors de la dernière visite. On aurait pu sortir au parc si la batterie avait été chargée.
- Le tuteur a été laconique. Je ne peux te dire. Je reviendrai vers toi quand j'en saurais plus."
Je l'ai relancée, après plusieurs semaines.
Elle n'a pas eu d'autres nouvelles depuis. Ni sur les causes du décès, ni la date des obsèques. Pas un message des enfants. Un remerciement pour l'accompagnement. Rien.
Je ny serai pas allée aux obsèques. Je n'y vais jamais. Mon boulot s'arrête au vivant, mais c'est important d'être présent.es pour certain.es collègues.
Les enfants de M.B ne venaient qu'une à deux fois par an voir leur père. Ils notaient le jour de leur venue sur le cahier de liaison posé à disposition sur le petit frigo, dans la chambre.
Pas un mot, pas un commentaire sur ce que j'y avais consigné chaque quinzaine, mois après mois, avec leur père.
Petits morceaux de partage, tous petits plaisirs fugaces de la vie.
On le sait, pas de jugement dans le boulot. On ne connaît pas l'histoire familiale.
Je vous avoue que certaines situations nous atteignent mes collègues et moi, nous mettent en colère, en vrac et qu'heureusement que dans l’entreprise dans laquelle je suis salariée, on a du temps d'échanges et d'écoute conséquent et régulier.
Nous sommes des essentiel.les invisibles peu considéré.es, voilà un bien triste exemple.
Une fois de plus, la reconnaissance on s'en passera, encore une fois, jusqu'à quand?!
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